Dans l’enseignement-apprentissage des langues Celce-Murcia (1991) distingue les méthodes directes orientées sur l’utilisation de la L2 des méthodes analytiques focalisées sur l’étude de sa grammaire. Nous respectons la hiérarchisation de cette auteure des termes approches (le plus large) suivi de méthodes puis techniques (le plus restreint) pour décrire les approches qui caractérisent l’enseignement-apprentissage des L2 et mettre en relief une dizaine de concepts clés.

Voici les quatre grandes approches qui caractérisent l’histoire récente de l’enseignement des langues :
APPROCHE / DIMENSIONS | GT : grammaire-traduction | ALM : audio-orale | CLT : approche communicative | TBLT : approche par tâches |
LANGUE | règles morphosyntaxiques ; connaissances culturelles | structures de base ; pronunciation | compétence communicative | complexité (syntaxique et lexicale), précision, aisance |
ORIENTATION | humanisme | comportementalisme | cognitivisme | constructivisme |
APPRENTISSAGE | entrainement intellectuel | réflexe conditionné | apprentissage inconscient par exposition | apprentissage implicite et explicite |
PROGRAMME | Synthétique | synthétique | analytique | analytique |
METHODES | présentation de règles linguistiques ; exercices d’analyse et de traduction | transformations de structures de base ; surapprentissage | interactions entre apprenants en petit groupe ; ressources authentiques (non didactisées) | participation dans des tâches ; réflexion métalinguistique |
NOTIONS | grammaire | cours | interlangue | tâche |
exercice | erreur | input | rétroaction |
L’approche grammaire-traduction
L’approche grammaire-traduction (grammar-translation, GT) développée aux 18e et 19e siècles et encore très répandue au vingtième siècle s’inscrit dans un courant humaniste qui vise l’entraînement intellectuel au sens large. Dans cette vision parfois qualifiée de traditionnelle, la langue est considérée comme le vecteur d’une nouvelle culture en contraste avec la sienne, mais aussi comme un ensemble cohérent de règles morphosyntaxiques qui se prêtent à une « gymnastique mentale » salutaire (McLelland 2017). La méthode GT consiste en la présentation de règles linguistiques assorties d’exercices d’analyse et de traduction.
Notons les sens variés du terme grammaire : un manuel de grammaire d’une langue étrangère va présenter une description plus ou moins exhaustive des règles syntaxiques de la langue. Ainsi dans le langage courant et dans les programmes pédagogiques, la grammaire est assimilée à la syntaxe, alors que pour les linguistes, la syntaxe ne fait qu’une partie, avec par exemple la phonologie et le lexique, des grands champs de l’étude de la langue. Comme nous verrons plus loin, les acquisitionnistes parlent également d’une ‘grammaire de l’apprenant,’ mais dans l’approche grammaire-traduction, la grammaire se limite à une description syntaxique préscriptive et l’enseignement est centré explicitement sur la maîtrise de ces règles, par une technique appelée plus tard la focalisation sur les formes (focus on forms). L’approche grammaire-traduction reste un élément fondamental de l’étude des langues vivantes dans bien de pays, et notamment dans les programmes de l’enseignement supérieur en Europe.
Les approches audio-orales
La grammaire-traduction et les approches audio-orales qui l’ont suivie ont un élément en commun : elles s’appuyent toutes deux sur un programme synthétique, c’est à dire un cours ou une organisation didactique (Springer 1996) par laquelle la L2 est découpée en petits morceaux pour être ensuite enseignée pas à pas jusqu’à ce que la structure complète de la L2 ait été traitée. L’intérêt du cours synthétique repose sur la capacité de l’apprenant.e à réintégrer les différentes parties pour en faire une synthèse exploitable en situation de communication.
Les approches audio-orales, comprenant la Audio-Lingual Method (ALM, Fries & Lado 1958) et la méthode structuro-globale audio-visuelle (Gauvenet et al 1962) parmis d’autres, reposent sur une conception linguistique plus ou moins structuraliste et une vision psychologique comportementaliste. La L2 est conçue comme un ensemble de structures de base (patterns) avec une prononciation propre, plus ou moins différente de celle de la L1. Les mécanismes d’apprentissage sont ceux du réflexe conditionné : le surapprentissage de séries de transformations de structures de base, avec la réprise immédiate de toute erreur pour éviter la formation de mauvaises habitudes.
Les approches communicatives
C’est justement sur la place de l’erreur que va s’opérer un nouveau mouvement de pendule dans l’enseignement des langues étrangères, signalé comme nous l’avons vu par la révolution cognitive du milieu du siècle dernier. Corder (1967: 166) fait une distinction importante entre la faute d’inattention aléatoire et l’erreur systématique, cette dernière la preuve de l’existence d’un programme interne ou d’une grammaire de l’apprenant.e (‘built-in syllabus’) appelée interlangue (interlanguage) par Selinker (1972). Cette prise de conscience va encourager l’abandon d’un enseignement synthétique de la langue en faveur d’un programme analytique[2] (Wilkins 1972). Ce dernier ne présente pas de progression de structures syntaxiques isolées mais propose à la place des échantillons de la langue cible (input) qui ne sont ni triés ni adaptés selon des critères lexicaux ou syntaxiques. Ce programme repose sur la capacité supposée de l’apprenant.e de déceler des régularités linguistiques de manière inconsciente dans cet input langagier et de les intégrer à son interlangue sans enseignement explicite.
Cette conception de l’apprentissage découle directement du positionnement cognitiviste de Chomsky et amène des chercheurs-formateurs en L2 comme Krashen (1982) à préférer essayer de stimuler une acquisition L2 qui serait implicite et efficace (comme celle de la L1) plutôt qu’un apprentissage plus délibéré et moins apte à favoriser la production ou l’interaction spontanées. Cette capacité à utiliser la L2 est appelée la compétence communicative (Hymes 1972) et constitue l’objectif principale de l’approche communicative (communicative language teaching, CLT). Si cette approche dépend d’une vision de l’apprentissage résolument chomskyenne, sa conception de la langue est plus large et comprend non seulement des savoirs linguistiques mais également des compétences sociolinguistiques, pragmatiques et stratégiques (Canale & Swain 1980, Celce-Murcia 1996). Les méthodes CLT comprennent ainsi l’utilisation de ressources dites authentiques (c’est à dire à l’intention de publics autres que les apprenant.e.s L2) choisies pour favoriser la discussion, aussi bien que les activités permettant des échanges spontanés avec l’enseignant.e et entre apprenant.e.s.